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03.10.2018 à 18 H 11 • Mis à jour le 03.10.2018 à 18 H 18 • Temps de lecture : 12 minutes
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n°359.Ce que révèle une étude française sur la dynamique du boycott au Maroc

Le cabinet français IDS Partners a produit une étude datée de septembre qui s’interroge sur les origines de la campagne inédite qui a frappé trois grandes marques marocaines. Elle conclut que celle-ci n’a pas été totalement spontanée, mais aurait été soutenue par des entités organisées maîtrisant les réseaux sociaux de manière évidente, structurée, et coordonnée, avec un usage perceptible de « robots »

Le cabinet Influence Data &  Strategy (IDS Partners), une agence française créée en 2018, spécialisée dans l'étude de l'opinion en ligne et dans l'intelligence des controverses, a produit le 11 septembre une étude de 33 pages qui sonde la dynamique du boycott ayant frappé trois marques leaders de leurs marchés depuis le printemps de cette année. « L’agence a déjà travaillé sur le débat entourant l’indépendance de la Catalogne et réfuté l’idée selon laquelle l’affaire Benalla, récent scandale politique français mettant à mal la présidence, pouvait avoir été gonflée en ligne par des relais de Moscou », soulignait récemment Jeune Afrique.


« Ayant suivi de loin les premiers mois du mouvement à travers les articles parus dans la presse française (Le Point et Libération notamment), nous avons commencé à nous intéresser au sujet lorsque ce dernier commençait à revêtir une dimension digitale entrant en résonance avec nos sujets de recherche sur l’influence des réseaux sociaux dans les débats publics », écrivent les auteurs du document, notamment celui mettant « l’accent sur le côté professionnel des acteurs à l’origine de la diffusion du mouvement sur les réseaux sociaux ».

 

« Derrière la fronde sociale, faut-il en réalité y voir une fronde essentiellement, voire uniquement, politique ? », s’interroge dès lors IDS faisant remarquer que les produits visés par le boycott – eau minérale, essence, produits laitiers - n’étaient pas des produits de consommation courante des classes les plus pauvres de la population marocaine, pourtant les plus touchées par le renchérissement du coût de la vie.


L’étude rappelle d’emblée que la cherté de la vie apparaît comme l’axe structurant du discours porté par les acteurs du mouvement à l’égard des marques visées (Afriquia, Centrale Danone et Sidi Ali). Or, ajoute-t-elle dans son préambule, « la grille de lecture tend à réduire ce mouvement à un simple phénomène social, résultant d’une série de facteurs d’ordres purement sociaux et économiques, paraît très réductrice par rapport aux conditions de sa genèse sur les réseaux sociaux ».



Si le boycott est communément présenté comme une réponse à l’inflation du coût de la vie, l’étude de la conversation sur les réseaux sociaux montre, selon l’étude que « cette dimension ne saurait à elle seule rendre raison de cet objet social aux contours complexes. Ce mouvement, même si le terme peut sembler peu pertinent au sens où aucun leader et/ou aucune entité politique/associative n’a revendiqué la paternité du boycott, est un objet politique non identifié. Son côté inqualifiable découle en grande partie du flou relatif à ses origines, dont les raisons sont potentiellement multiples ».


« Après tout, et c’est un truisme que de le rappeler, on ne milite pas de la même manière dans une démocratie occidentale que dans un pays monarchique, classé 135e sur 180 au classement de la liberté de la presse par Reporters sans frontières, et dans lequel le roi n’est ni plus ni moins que le Commandeur des croyants », s’aventure IDS qui fait fi, certainement par méconnaissance des mouvements contestataires de rue ayant jalonné l’histoire récente du pays, des poussées de fièvre de 2008 aux Hiraks du Rif et de Jerada en passant par le Mouvement du 20-février. L’aspect anonyme du Net comme repli des actions sur le terrain en raison de la répression policière qui a touché notamment les activistes d’Al Hoceima cette année n’a pas été appréhendée.


« Le social pourrait-il donc servir de prétexte voire d’écran de fumée permettant de dissimuler des finalités et des manœuvres politiques/politiciennes ? », poursuit alors IDS dans la description de sa méthodologie. « De même (…) l’activisme de professionnels du Web et des réseaux sociaux, pour reprendre les enseignements du papier du Point, ne serait-il pas des indices du déploiement de stratégies de fake, voire d’astroturfing ? », raisonne ainsi le cabinet.


Une analyse qui se focalise sur Twitter…

Concrètement, IDS a constitué un corpus est de 37 252 tweets uniques, qui est basé sur une série de requêtes arabes, françaises et anglaises destinées à capter de la manière la plus large possible la discussion sur le boycott impulsé par des activistes au Maroc. Ces tweets ont été émis par 11 149 utilisateurs uniques. La data a été recueillie pour les requêtes françaises sur « Maroc boycott », en anglais sur « Morocco boycott » et en arabe sur « moqati3oun bil maghrib » et « moqati3oun », sans oublier les mots-clés associés aux marques visées.


Des focus ont été par ailleurs réalisés sur des personnalités, en l’occurrence Aziz Akhannouch (président du RNI, ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime et homme d’affaires à la tête d’Akwa Group) et, de manière plus périphérique, Mohamed Boussaïd (ex-ministre de l’Économie et des Finances limogé par le Roi le 1er août dernier).


La majorité des comptes créés en avril et mai 2018

Premier constat, de manière purement quantitative, c’est en avril et en mai 2018 qu’ont été créés une importante partie des comptes actifs dans le cadre de la discussion sur le boycott. « En effet, 295 comptes ont été créés en avril et 219 l’ont été au mois mai. En mars, ce sont 163 comptes qui ont été créés et en juin nous en dénombrons 140. De fait, 817 comptes qui ont pris participé à la discussion sur le sujet ont été créés en l’espace de 4 mois », note l’étude.


Mais IDS se garde d’en tirer des conclusions hâtives « d’autant qu’un mouvement revêtant une dimension tout à la fois sociale et politique est à même de contribuer à la socialisation digitale de certains individus, notamment les jeunes, qui, par le biais d’une technologie qu’ils maîtrisent couramment et pour un coût social modéré, peuvent faire leurs premiers pas dans le militantisme par le biais des plateformes digitales. A contrario, des acteurs plus âgés peuvent aussi prendre conscience que les réseaux sociaux constituent, d’une certaine manière la poursuite de la lutte par d’autres moyens », note le cabinet.


Fait saillant, deux dates mises à jour servent à questionner la problématique de l’astroturfing. Les comptes créés en février 2011, et qui ont été actifs dans le cadre de la discussion sur le boycott, sont au nombre de 255. « Cette période correspond précisément au début des Printemps arabes au Maghreb, avec les répercussions politiques que l’on sait. Cette vague de création de comptes en 2011, à une époque où, si Twitter est déjà beaucoup utilisé, il n’en reste pas moins l’apanage d’une frange relativement restreinte de la population ».


« Celle-ci s’explique en grande partie par la découverte par toute une génération des potentialités inhérentes aux réseaux sociaux dans le cadre de la médiatisation de leur lutte politique au quotidien. Ce mouvement de bascule de février 2011, s’explique ainsi davantage par une prise de conscience aigüe du rôle des réseaux sociaux que par la magnitude, aussi importante fût- elle, du momemtum politique qui prévalait alors », avance IDS.


Or, selon les conclusions d’IDS, à bien des égards, cette grille de lecture qui valait pour 2011 s’avère être pour le moins inopérante en 2018. « Il est pour le moins étonnant que 817 comptes puissent opportunément être créés alors qu’une crise politique se structure au Maroc », relève ainsi l’étude qui souligne que ce phénomène est loin d’être anodin.


De nombreux observateurs ont avancé l’hypothèse de « bots » qui génèrent des messages automatiques mobilisés massivement pour donner du relief et de la visibilité en continu de cette campagne. Après une comparaison de la part de voix (poids de l’ensemble des tweets organiques émis par un groupe donné au sein d’un corpus) respective des comptes arabophones créés en 2011 et ceux créés en 2018, l’étude conclut « qu’en amont du mouvement de boycott certains utilisateurs et/ou officines ont pu être enclins à constituer une petite armée digitale à même d’accorder davantage de visibilité au mouvement, si ce n’est à mettre celui-ci à l’agenda du débat public ». En clair, la campagne n’a donc pas été totalement spontanée, mais aurait été soutenu par des entités organisées maîtrisant les réseaux sociaux de manière évidente, structurée, et coordonnée avec un usage perceptible de « robots ».


Un ciblage à caractère politique évident

Pour certains, se cachait derrière le boycott la main de militants islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD). Le sociologue Abderrahmane Rachik relevait sur Jeune Afrique que « la campagne est dirigée contre des personnes connues pour leurs positions négatives à l’égard du PJD ». D’autres sous-entendaient même que le boycott pouvait être l’œuvre d’entreprises concurrentes à celles visées, relevait la même source, qui livrait début septembre quelques bribes de l’étude.


« En effet, et sans placer l’analyse de données au-dessus d’autres pratiques d’études, on peut relever que la campagne n’est pas menée par des personnes motivées par le seul mécontentement social, mais plutôt par des internautes assez engagés et politisés, aux vues semblent-ils plutôt conservatrices », résume à Jeune Afrique, Damien Liccia, associé fondateur d’IDS Partners.

 

L’intérêt cristallisé autour de la personne d’Aziz Akhannouch est bien plus important, tant en termes de volumétrie relative que d’intensité dans le temps, que celui qui est porté aux autres acteurs, constate l’analyse d’IDS qui affirme que les trois entreprises au cœur du boycott sont donc appréhendées à l’aune de grilles de lecture diamétralement différentes selon qu’elles soient marocaines et/ou étrangères, en l’occurrence ici française : « Pour Centrale Danone une approche purement économique, sans dimension réellement politique, alors que pour Afriquia et Sidi Ali le politique et l’économique apparaissent comme inextricablement liés ».


Derrière la problématique de la cherté de la vie, il est ainsi perçu « en filigrane la volonté de cibler des acteurs politico-économiques marocains de premier plan ».

 

Aussi, la discussion globale autour d’Aziz Akhannouch représente 8 % du corpus étudié. « Cela est loin d’être insignifiant, et même si une personnalité ministérielle suscite de facto des mentions neutres et/ou non crisogènes, il n’en demeure pas moins que ce chiffre interroge. D’autant plus que ce dernier tend à accorder une place, non pas périphérique, mais belle et bien centrale à Aziz Akhannouch, dans le cadre de ce mouvement », conclut sur ce point IDS.


En analysant bien sommairement la presse marocaine francophone sur la rivalité passée entre Abdelilah Benkirane et Aziz Akhannouch, se référant à des articles de nature et de source non équivalentes que ce soit sur le fond, le contexte ou sur l’angle traité, IDS conclut que « ces éléments peuvent constituer un faisceau d’indices, qui, mis bout à bout, peuvent laisser à penser qu’une continuité logique et politique existe entre ces différents événements, et que, in fine, le boycott initié au printemps ne serait qu’une énième actualisation, par entités interposées, des antagonismes prévalant entre Akhannouch et Benkirane ».

 

Des sympathisants islamistes ont-il ainsi contribué, sinon mené ou appuyé la charge contre Akhannouch et par extension contre les marques ciblées pour ce qu’elles représentent de symbolique pour définir le « cosy capitalism » marocain rentier sous l’ombrelle du Makhzen ? Si rien ne permet de l’affirmer pleinement, IDS Partners avance quelques indices et pistes prenant comme exemple certains comptes twitter : des posts en soutien au prédicateur belgo-marocain Tarik Ibn Ali, emprisonné en Espagne depuis près d’un an, après avoir été arrêté en juin 2017 à Birmingham, car soupçonné d’être un recruteur de Daech, des prises de position antisionistes, et plus largement une activité en ligne qui ne se cantonne pas à la promotion du boycott mais critique plus largement « les réminiscences de la colonisation française sur l’économie (…) la classe politique marocaine appréhendée comme corrompue… »

 

« Ces différentes données, appréhendées à l’aune de nos constatations réalisées sur Twitter dans la phase liminaire de notre étude, ne vont pas sans questionner l’existence de techniques d’influence destinées à donner de la visibilité et de l’importance au mouvement de boycott », analyse l’étude.


Facebook, parent pauvre et faille rédhibitoire de l’étude

En choisissant de se focaliser sur Twitter (à l’exception de la page Facebook Kifaa7), IDS Partners privilégie le site de micro-blogging comme terrain notoire des acteurs de la campagne de boycott. Or, comme l’attestent nombre de spécialistes qui se sont penchés sur la genèse de cette contestation digitale inédite, c’est bien sur Facebook que l’essentiel des actions de dénonciation et d’appels à la mobilisation ont été menées.


Le big bang a eu lieu le 20 avril, sur Wavo, la page Facebook anonyme likée plus de 750 000 fois (aujourd’hui indisponible). Son message appelait les entreprises à réviser leurs prix à la baisse. Très vite repris par Casa Bel Visa (813 000 fans), il devait dès lors essaimer sur la Toile…


« Sans aller jusqu’à accorder une primauté trop hégémonique à la simple analyse de données par rapport aux causes sociales, économiques et politiques en réduisant ce mouvement à une pure campagne d’astroturfing, il nous paraît malgré tout que l’ensemble des éléments présentés supra questionne tout aussi bien la dimension spontanée et populaire du mouvement, la nature réelle des acteurs à son origine et surtout ses objectifs sous-jacents et son véritable agenda », conclut l’étude d’IDS.

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