De bon matin, les touristes quittent les halls des hôtels à Boumalne-Dadès. La veille, ils ont longé les rives de la Vallée des Roses jusqu'aux Gorges de Todra et avaient sans doute apprécié les hautes dunes de Merzouga ou de Erg Chebbi. Les plus téméraires ont découvert des trésors enfouis dans le désert d'Erfoud, à quelques kilomètres de l'Oasis de Fezna : des fossiles préhistoriques gisant dans un océan asséché ou encore d’étranges et captivants vestiges dignes de l’Atlantide qui soulignent que la région est une porte ouverte vers le ciel et ses étoiles, là où tombent des météorites venus du fin fond du système solaire...
Le Sud-Est marocain est aussi réputé pour être une terre de fossiles, et la ville d’Erfoud (ou Arfoud) est immanquablement son épicentre. Située dans la région Drâa-Tafilalet, cette commune de 30 000 âmes abrite près de 500 variétés de fossiles réparties sur 100 km². Et pour cause, durant l’ère paléozoïque – il y a environ 540 à 250 millions d’années – cette partie du Maroc était engloutie sous les flots.
Cet océan, aujourd’hui asséché, a été baptisé par les géologues et les paléontologues de « plus vaste musée de fossiles à ciel ouvert dans le monde », attirant continuellement les amateurs, professionnels et passionnés des temps antédiluviens qui viennent y gratter ses roches sédimentaires. Et les trouvailles sont au rendez-vous pour les plus chanceux dont on peut admirer les trophées comme ce squelette d’une énorme ammonite, de cette famille de mollusques préhistoriques ancêtres des pieuvres et des calmars, disparus il y a 65 millions d’années au moment de l’extinction des dinosaures, tout comme les restes pétrifiés d’une faune variée, allant de tortues aux grands lézards. C'est là aussi que le célèbre spinosaure aquatique de Kem Kem a été récemment découvert.
Ce n’est pas non plus un hasard si un rover spatial en cours de développement par la NASA pour explorer la surface de la Lune et se joindre à la recherche d'eau sur le satellite naturel de la Terre, a été testé dans cet univers qui rappelle la surface des astres morts. L'astromobile à quatre roues de moins de 400 grammes qui peut escalader des pentes de 40 à 45 degrés, a pour objectif de « sonder la glace d'eau en identifiant et en cartographiant la teneur en hydrogène souterraine du sol lunaire ».
Des merveilles au cœur du désert
De là, entre Goulmina et Erfoud, la plaine de Marha s'étend à perte de vue, à une altitude de 844 mètres. Seules les lointaines montagnes brodent l'ampleur du panorama. Le mystère hante les visiteurs de ce monde de sables déployés : qui fait pousser les palmiers-dattiers ici ? Qui arrose les grenadiers ? Comment verdoient les épis drus ? Pourquoi – ou comment – ces habitants ont-ils choisi de s'établir aux alentours de ces oasis ? Pourquoi ont-ils bâti ces belles demeures en terre avec leurs voûtes ornées de manière à la fois austère et raffinée ?
Le désert ne tardera pas à donner des réponses aux touristes qui arrivent de Tinejdad. Il leur avoue, le long de leur trajet vers la belle oasis de Fezna, que c’est ici où l'impénétrable se dévoile. Les véhicules de transport touristique s'arrêtent, à leur gauche se manifestent de majestueux monolithes. Les guides descendent et proposent un moment de contemplation, afin de mieux saisir le génie de l'homme de la région.
Lahcen Attou, natif de la région, se tient devant l'entrée d'un passage souterrain et révèle : « Nous nous trouvons actuellement au-dessus d'une khattara, un système d'irrigation traditionnel souterrain. Il s'agit d'une technique qui draine l'eau le long de voûtes ou de tunnels. C'est une méthode ancrée dans l'histoire et répandue dans notre région depuis plus de mille ans ».
La khattara constitue un véritable patrimoine culturel et un repère historique digne de considération. Le système parsème tout le territoire de Ghriss, de l'oasis de Tizgaghine à celle de Fezna. Une ingénierie hydrique qui s'articule en cinq couloirs parallèles reliant des centaines de puits disséminés sur des dizaines de kilomètres sous terre, comme des artères, et arrosant ces villages d'eau douce au fil des ans.
Lahcen et son frère ont installé un escalier en fer forgé pour que les visiteurs puissent descendre dans les conduits de la khattara. Tous deux ont aussi équipé les lieux de lampes alimentées par des panneaux solaires. Et ils ont accroché, le long des murs souterrains, des dessins techniques expliquant en différentes langues cette ingénieuse méthode d'irrigation.
À proximité du tunnel, Lahcen a dressé une tente en poil de chameau meublée de tapis pour accueillir les voyageurs autour d'un thé ou pour leur offrir de l'eau. Le gardien de la khattara ne demande rien en retour. Un sourire en guise de remerciement lui suffit.
La spécificité patrimoniale de la khattara a incité le ministère de la Culture à préparer un dossier de candidature sur « les savoirs et savoir-faire traditionnels liés aux khattaras » en prévision de leur inscription sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO, dans le cadre de la mise en œuvre de la Convention de l'UNESCO de 2003 relative à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, que le Maroc a ratifiée en 2006.
Du haut d'une petite tour, Lahcen propose à ses visiteurs de découvrir à travers une longue-vue les vestiges d'une forteresse perchée sur une montagne à l'entrée de l'oasis de Fezna et de repérer les ruines d'une majestueuse demeure en terre, que les habitants nomme « Al Qachla ». On raconte que c'était une garnison française du temps du Protectorat. L'étymologie du mot « Qachla » confirme cette version puisque c'est un terme d'origine turque qui signifie caserne, forteresse ou château.
Depuis cet observatoire, on peut également apercevoir, à une dizaine de kilomètres, « l'Escalier céleste », solitaire au milieu du désert.
Cette oeuvre fait partie d’un ensemble de monuments conçus par l’architecte et artiste allemand Hannsjörg Voth qui posa ses valises au Maroc après avoir rêvé de s’installer en Egypte ou en Espagne. C’est dans cet univers de sable et de rocaille qu’il pensa et réalisa son projet iconoclaste.
« L’Escalier céleste », que le mystique bâtisseur parvint à ériger en sept ans, entre 1980 et 1987 culmine à 16 mètres de hauteur. On raconte que celui qui emprunterait ses 56 marches marcherait tout droit vers… les étoiles.
Passionné d’astrophysique, Hannsjörg Voth a rétréci les parois latérales du plus haut de la tour, à l’issue desquelles s’ouvre une fente verticale au milieu. Il aurait conçu ce monument comme une installation propice à l’observation des étoiles.
Fadoua, une jeune femme qui se dirigeait vers l'unique station-service de la commune de Fezna, explique à un groupe de touristes comment parvenir aux impressionnantes réalisations de l'artiste : « Il vous faudra louer un 4x4 ou y aller à pied pendant des heures avant d'arriver à destination. Cette petite voiture ne fera pas l'affaire », lance-t-elle à ceux qui hésitaient à s’engager dans l’expédition.
Fadoua vend du carburant en jerrican, de l'eau minérale, du thé et même des petits repas. Elle et sa famille sont en train de construire une sorte d’auberge touristique au milieu d'un champ d'oliviers. Mais elle ne trouve aucune solution pour les touristes qui arrivés en voiture de ville et qui souhaitent visiter les merveilleux monuments érigés par Voth.
Il est, en effet, fortement recommandé de louer des 4x4 à Marrakech, Ouarzazate ou Erfoud, capables de se frayer un chemin dans ce désert inhospitalier.
Cependant des jeunes de la région équipés de rustiques triporteurs sont étonnamment habiles à emmener les curieux à destination. Ayoub est l’un d’entre eux. Il se propose avec beaucoup d'enthousiasme, d'autant plus que son père était l'un des ouvriers qui ont bâti « la Spirale d'or », le grand édifice rocheux, connu parmi les locaux sous le nom d’ « Al Babusha » (l'Escargot).
Pour parvenir à ces fabuleuses édifices, il faut donc emprunter une piste rude et poussiéreuse, surtout du côté de la vallée, près du barrage de Telli. Il est préférable de visiter « la Spirale d'or », en premier, vu qu'elle se situe à proximité du village de Fezna, qui lui se faufile entre les khattaras. À noter que les randonneurs font une heure et demie de marche pour s’y rendre. Idéalement, il faut prévoir un départ en matinée pour un retour en fin d’après-midi, quand il fait doux, après avoir visité les trois monuments qui forment le fameux complexe.
« La Spirale d'or » est à environ trois kilomètres de la « Cité d'Orion » qui, elle, s'éloigne de « l'Escalier céleste » de cinq kilomètres. Notons que toutes ces routes au milieu du désert sont non goudronnées. En voiture, le trajet dure entre trente à quarante-cinq minutes, selon le type du véhicule.
Une fois arrivés devant la « Spirale d'or », un jeune vous accueille avec le sourire en vous remettant un document plastifié qui explique les consignes formulées par la Fondation Voth Maroc Aïn Nejma, responsable de la sauvegarde et de la protection des œuvres architecturales de Hannsjörg Voth. Le tarif de la visite pour les touristes étrangers est de 150 dirhams et pour les Marocains de 50 dirhams. La visite est gratuite pour les enfants.
Construite entre 1992 et 1997 au-dessus d'un puits dont le plan a été conçu à partir de neuf quarts de cercle, la fascinante « Spirale d'or » s'inspire d'un thème de prédilection chez les architectes puisqu'elle reprend le fameux nombre d'or – ou la divine proportion – une notion mathématique qui se prête depuis des siècles à des interprétations ésotériques en tout genre que l’on retrouve fréquemment dans la nature, notamment dans les capitules du tournesol, les coquilles d'escargots et certains coquillages.
Une rampe qui gagne en hauteur au fil de ses 260 mètres de long mène directement au sommet de la spirale. Au centre, un escalier en colimaçon permet de pénétrer au cœur de l’édifice, avant que cent marches conduisent les plus aventuriers au fond d’un puits.
Depuis le site de « la Spirale d'or », on perçoit l'imposante « Cité d'Orion » construite dans l'étendue plaine rocheuse. Le monument édifié en pisé selon la technique de coffrage puise son inspiration dans le génie architectural des kasbahs du grand Sud marocain, construites le long des rives de la vallée du Ziz et du Drâa.
Au seuil de la Cité, Ba Yaïch se tient droit comme un i, un chèche sahraoui noué autour de la tête pour se protéger du soleil. Il est rayonnant de gaieté et de bonne humeur, en communion avec le charme et l'énergie positive des lieux. Un des touristes affirme : « C'est comme si on était sur une autre planète ».
La « Cité d’Orion », consiste en des tours rectangulaires de torchis représentant les sept principales étoiles d’Orion, du nom de cette constellation autrefois mentionnée dans « L’Odyssée » d’Homère, et l’une des rares immédiatement reconnaissables par leur forme.
Edifiée entre 1998 et 2003, elle se veut un observatoire céleste rappelant les sept étoiles de la constellation visibles à l’œil nu. Les sept tours ont été agencées de sorte que leurs dimensions découlent de la taille et de l’éclat des étoiles qu’elles représentent, en plus de quelques tours mineures renvoyant aux étoiles moins scintillantes.
Dans la grande cour du bâtiment, surplombant un puits, une petite demeure en terre accueille les visiteurs. Contre les murs peints à la chaux, ont été disposées des petites chaises en frondes de palmiers, formant un cercle autour d'un thé et de la voix de Ba Yaïch, le gardien de ce lieu autrement connu sous le nom de « la Cité des étoiles ».
Il dit avoir contribué à la construction de la Cité entre 2000 et 2003. Il précise : « Hannsjörg Voth employait plus d'une quarantaine d'ouvriers originaires de Fezna et d'Erfoud. Nous travaillions entre le mois d'octobre et le mois de mars, lorsque le temps est encore clément, puis on arrêtait les travaux. L'artiste repartait en Allemagne en attendant l'année suivante pour revenir achever la construction. »
On revoit « l'Escalier céleste » depuis la plus haute tour de la Cité, à cinq kilomètres environ et on s’aperçoit de nouveau que l’artiste allemand était bel et bien habité par un fervent désir de relier la terre au ciel. Tombé sous le charme du désert d'Erfoud, il y concrétisera son rêve en faisant appel à une technique de construction ancestrale des bâtisseurs locaux, capables de pétrir l'argile et le transformer en œuvres d'art.
D’une vue latérale, « l'Escalier céleste » se présente alors à la vue comme un triangle- rectangle. Ces marches aboutissant à une porte en fer. Plusieurs petits espaces se trouvent au-dessous de cette ouverture, dans lesquelles Hannsjörg Voth a mené une vie ascétique et travaillé comme un druide conversant avec le ciel.
Selon le critique d'art Lothar Romain : « Le dernier pas, tout en haut, n'est ni la fin en soi, ni le but, il est seulement le dernier pas du corps matériel vers la possible transcendance. »
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