Amnesty dresse un bilan sévère de la situation des droits de l’Homme au Maroc
Dans son rapport annuel pour l’année 2015 à paraître demain, l’ONG Amnesty International critique avec force de nombreux gouvernements ayant « violé effrontément le droit international dans leur pays ». Au Maroc, le rapport d’Amnesty établit que la liberté d'expression, d'association et de réunion était soumise à des restrictions . « Les autorités ont arrêté et poursuivi des critiques du gouvernement, harcelé des groupes de défense des droits humains et dispersé par la force des manifestations. Des cas de torture et d’autres mauvais traitements ont été signalés, ainsi que des procès inéquitables. Les femmes continuaient de faire l’objet de discrimination. Des migrants et des demandeurs d’asile ont été arrêtés de manière arbitraire et victimes d’une utilisation excessive et injustifiée de la force. Cette année encore, les tribunaux ont prononcé des peines capitales. Amnesty reconnaît toutefois qu’aucune exécution n’a eu lieu », écrit l'organisation.
« Cinq ans après les soulèvements massifs de 2011, nous avons assisté avec effroi à un retour de la répression et vu réapparaître le spectre de pouvoirs autoritaires qui répriment la dissidence. Des États de toute la région ont imposé des mesures draconiennes contre les militants pacifiques, souvent au nom de la sécurité nationale et de la lutte contre le terrorisme », estime Philipp Luther, directeur pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Sur les théâtres internationaux, le Maroc a rejoint, en mars, la coalition internationale dirigée par l’Arabie saoudite qui participait au conflit armé au Yémen : « Malheureusement, 2015 a été une nouvelle année catastrophique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, une année marquée par des conflits armés meurtriers qui ont plongé des millions de civils dans le sang et la détresse, par une crise de réfugiés sans précédent et par des attaques de plus en plus fortes de gouvernements répressifs contre les droits et les libertés », commente Luther.
En avril, le gouvernement a publié un avant-projet de loi portant modification du Code pénal, qui s’inscrivait dans un cadre plus vaste de réformes du système judiciaire. « Des groupes de défense des droits humains ont affirmé que ce texte ne remédiait pas aux lacunes actuelles du Code. Un avant-projet de loi portant modification du Code de procédure pénale ainsi que deux projets de loi, l’un visant à modifier le statut des magistrats et l’autre à établir un Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, étaient en cours d’examen », rapporte Amnesty.
Les libertés d’expression et d’association toujours bafouées
Sur le plan de la liberté d’expression, Amnesty fait remarquer que « les autorités ont engagé des poursuites pénales contre des journalistes considérés comme ayant insulté des personnalités et les institutions étatiques et qui avaient critiqué le bilan du gouvernement en matière de droits humains certains ont été condamnés sur la base d’accusations de droit commun factices ».
« La répression s’est poursuivie contre les défenseurs des droits humains, les militants et les artistes, dont certains ont fait l’objet de poursuites et de restrictions à leur liberté de mouvement », estime l’organisation qui cite les cas du militant Hicham Mansouri, du caricaturiste Khalid Gueddar, du journaliste Hamid El Mahdaoui (Badil.info) et de Taoufik Bouachrine, directeur éditorial d'Akhbar Al Yaoum. Amnesty s’attarde aussi sur le cas de l’association Freedom Now de l’historien Maati Monjib,
En ce qui concerne la liberté d’association, Amnesty relève que des groupes qui critiquaient le bilan du gouvernement en matière de droits humains « ont été harcelés par les autorités, qui les ont empêchés d’organiser des manifestations publiques légitimes et des réunions internes, le plus souvent de manière non officielle par des mises en garde orales ou en utilisant les forces de sécurité pour bloquer l’accès aux lieux ». Les activités d’Amnesty International, de Human Rights Watch et l’Institut international pour l’action non violente (NOVACT), ont été « soumises à des restrictions ».
« Cette année encore, les autorités ont bloqué l'enregistrement officiel de plusieurs organisations de défense des droits humains » souligne Amnesty. À la fin de l’année, « 41 des 97 branches locales de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) n’étaient toujours pas enregistrées et se trouvaient dans un vide juridique, les responsables locaux refusant d’accepter leur demande d’enregistrement ou de leur délivrer un récépissé », note Amnesty.
Pour ce qui est de la liberté de réunion, Amnesty rappelle dans son rapport que « les forces de sécurité ont dispersé, dans certains cas par la force, des manifestations organisées par des défenseurs des droits humains, des militants politiques, des diplômés sans emploi et des étudiants », faisant état particulièrement de la situation qui prévaut dans la mine d’argent à Imider, du mouvement islamiste non reconnu Al Adl wal Ihsane (Justice et bienfaisance) et du parti de gauche radicale d’Annahj Addimocrati (Voie démocratique).
Une force excessive contre les indépendantistes sahraouis
Amnesty consacre tout un pan de son rapport aux militants sahraouis qui prônent l’autodétermination du Sahara. « Les autorités ont dispersé les manifestations, en utilisant souvent une force excessive, et engagé des poursuites pénales contre les protestataires. Des prisonniers sahraouis ont observé des grèves de la faim pour protester contre la torture et les mauvais traitements. Les autorités ont également restreint l’accès au Sahara occidental des journalistes, défenseurs des droits humains et militants étrangers certains se sont vu refuser l’entrée sur le territoire et d’autres ont été expulsés », estime l’organisation.
Amnesty fait néanmoins état de la reconnaissance par les autorités de l’Association sahraouie des victimes des violations graves des droits de l’homme commises par l’État marocain (ASVDH) qui a obtenu son enregistrement officiel en mars, tout en estimant que « ses activités étaient toutefois soumises à des restrictions ». D’autres organisations de défense des droits des populations locales, comme le Collectif des défenseurs sahraouis des droits de l'homme, « se voyaient toujours refuser l'enregistrement officiel indispensable pour mener des activités en toute légalité », regrette Amnesty.
Pas de protection contre la torture
Pour ce qui est des actes de torture, Amnesty estime que « les autorités n’ont pas fait en sorte que les détenus soient correctement protégés contre la torture et les mauvais traitements ». Elles n’ont notamment pas enquêté dans les meilleurs délais sur les allégations de sévices et n’ont pas obligé les responsables présumés à rendre compte de leurs actes, citant notamment les cas du belgo-marocain Ali Aarrass, et du franco-marocain Zakaria Moumni.
En juillet, la France et le Maroc ont adopté une modification à la convention d’entraide judiciaire entre les deux pays. La nouvelle disposition prévoyait que toutes les plaintes pour des atteintes aux droits humains commises sur le territoire marocain, y compris celles déposées par des Français, devaient être renvoyées devant des tribunaux marocains, « ce qui privait les victimes de torture ou d’autres atteintes graves aux droits humains commises au Maroc de la possibilité d’obtenir réparation devant les tribunaux français », estime l’ONG.
Quant à la lutte contre le terrorisme, Amnesty signale le cas de l’ancien prisonnier du centre de détention américain de Guantánamo Younès Chekkouri qui a été placé en détention à son retour au Maroc. Amnesty note que le gouvernement a adopté en mai une loi érigeant en crime passible d’une peine de 10 ans d’emprisonnement le fait pour des Marocains de rejoindre un groupe terroriste à l’étranger. « Cette nouvelle disposition renforce les aspects problématiques de la législation antiterroriste en vigueur, notamment la possibilité d’une garde à vue de 12 jours avec un accès tardif à un avocat ainsi que le concept vague d’« apologie du terrorisme », passible d’une peine de 10 ans d'emprisonnement ».
Les victimes des années de plomb privées de justice
Amnesty regrette par ailleurs que l’impunité au Maroc soit encore de mise, estimant que « les victimes d’atteintes graves aux droits humains commises entre 1956 et 1999 étaient toujours privées de justice », rappelant avec insistance que les autorités n’ont pas mis en œuvre les recommandations émises par l’Instance équité et réconciliation (IER), qui a examiné ces atteintes aux droits humains, notamment l’adoption d’une stratégie nationale de lutte contre l’impunité.
Sur les droits des femmes, Amnesty soulève encore une fois qu’elles faisaient « l’objet de discriminations dans la législation et dans la pratique et elles n’étaient pas suffisamment protégées contre les violences, sexuelles et autres. En mars, le roi a demandé au gouvernement de réviser les lois restrictives relatives à l’avortement », et qu’« aucune avancée n’a eu lieu sur un projet de loi annoncé en 2013 qui érigerait en infraction pénale la violence contre les femmes et les enfants », citant quelques cas qui ont émaillé l’année passée.
Sur les conditions des LGBT, Amnesty regrette que la loi sanctionnait toujours pénalement les relations consenties entre personnes de même sexe, faisant état des cas de poursuites judiciaires à l’encontre de nombreuses personnes.
A Tindouf, Amnesty soulève l’impunité des chefs du Polisario
Les migrants et demandeurs d’asile d’Afrique subsaharienne étaient en butte à des arrestations, fait remarquer Amnesty, soulignant toutefois que les autorités marocaines ont permis la réadmission au Maroc de migrants qui avaient pénétré irrégulièrement en Espagne, alors que Rabat marquait son intention de construire un mur le long de la frontière entre l’Algérie et le Maroc.
Pour ce qui est de la situation dans les camps de Tindouf sous contrôle algérien, Amnesty note avec sévérité que « cette année encore, le Front Polisario n’a pris aucune mesure pour mettre fin à l’impunité dont bénéficiaient ceux qui étaient accusés d’avoir commis des atteintes aux droits humains durant les années 1970 et 1980 dans les camps qu’il contrôlait ».
Enfin sur la peine de mort, l’ONG internationale constate que les tribunaux marocains ont prononcé des condamnations à mort et qu’aucune exécution n’a eu lieu depuis 1993.
Lire : Le plaidoyer chiffré d'Amnesty International
Editing Le Desk.
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