Al Hoceima : Electrisés par les condamnations, des jeunes tentés par l’affrontement
De nos envoyés spéciaux à Al Hoceima, Louis Witter et Thérèse Di Campo
Les rues du quartier de Sidi El Abed se vident petit à petit après la prière de Tarawih. Malgré le quadrillage policier du quartier, pourtant moindre que les jours précédents, des habitants attendent, dos contre les murs, penchés sur leurs téléphones. Les yeux rivés sur leurs écrans, ils attendent des informations sur le lieu où se tiendra ce soir la manifestation. Au bout de quelques minutes d’attente, un jeune rejoint un live, en direct d’un quartier situé à une vingtaine de minutes à pieds. Des cris sortent de son téléphone, il lève les yeux vers ses compagnons « la police charge à Hay Marmoucha ! ».
Les garçons se mettent en route vers le quartier voisin, déterminés. A Hay Marmoucha, de petits groupes clairsemés sont chargés au fur et à mesure par la police. Devant les camions aux gyrophares allumés, un homme, à terre, semble inconscient. Un témoin l’a vu se mettre de son propre chef au sol, mais autour de lui, des femmes crient leur colère aux policiers présents. Très vite, la petite place est vidée de ses occupants, qui se retrouvent quelques rues plus loin. La tension est vive, les slogans fusent.
Des hauteurs, une cinquantaine de policiers anti-émeute dévalent la grande avenue dans une charge rapide et précise. Les manifestants courent dans tous les sens, certains tombent, d’autres se marchent dessus. La colère est à son paroxysme lorsque les premières pierres volent en direction des forces de l’ordre. Une première, une deuxième, puis une pluie de projectiles. La route en travaux offre aux émeutiers autant qu’aux policiers une multitude de cailloux et de morceaux de palettes qu’ils se lancent à quelques mètres de distance sans ménagement. Les premiers, masqués par des t-shirts ou des cagoules artisanales laissent éclater leur rage tandis que les seconds, groupés, relancent les énormes pierres qui s’abattent dans un bruit fracassant contre leurs casques.
Dans les ruelles voisines, les estafettes de police passent à toute allure, faisant voler en éclats des caisses de Coca-Cola vides posées au bord des trottoirs. La poussière envahit les rues au fur et à mesure des échanges de projectiles qui laissent gisantes les pierres au milieu de la route. Plusieurs policiers à l’air perdu tentent de protéger tant bien que mal avec leurs boucliers les quelques passants qui se retrouvent au milieu des affrontements. Un taxi passe par là, calmement, contournant les rochers au sol dans une nonchalance qui contraste avec la situation.
« Silmya, c’était avant, mais c’est fini maintenant »
Après une demi-heure de violents affrontements, les émeutiers se tiennent à distance, continuant à invectiver les forces de l’ordre en contrebas et à lancer quelques pierres. Ahmed détourne les yeux de la ligne de policiers. « Avant, on pouvait dire Silmya, on pouvait dire que l’on était pacifistes » commence en espagnol ce jeune d’Al Hoceima d’une vingtaine d’années, visage couvert par un t-shirt. Sa peau brille à la lueur des réverbères, il essuie d’un revers de la main la sueur qui perle de son front. « Mais maintenant, c’est terminé. Nous ne demandions rien d’impossible ! Un hôpital, du travail et une université. Mais ce soir ils ont matraqué nos mères, ils ont matraqué nos sœurs. Nous sommes prêts à nous battre ».
Ce discours, plusieurs jeunes de la soixantaine d’émeutiers qui se disperse petit à petit avant minuit le tiennent ouvertement. Tous ont en tête « les condamnations ». Dix-huit mois fermes pour une vingtaine de leurs compagnons du Hirak, prononcés en fin d’après-midi au tribunal d’Al Hoceima. Ils se disent au revoir et se démasquent, déterminés, mais avec l’amère impression que pacifiques ou non, rien ne changera la réaction des autorités à leur encontre.
Lire aussi notre compte-rendu : Face à l’impasse, la contestation rifaine prend une tournure plus radicale
©️ Copyright Pulse Media. Tous droits réservés.
Reproduction et diffusions interdites (photocopies, intranet, web, messageries, newsletters, outils de veille) sans autorisation écrite.