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Jorf Lasfar
04.08.2022 à 03 H 29 • Mis à jour le 10.08.2022 à 01 H 50 • Temps de lecture : 8 minutes
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n°782.Comment Mosaic a obtenu sous Trump l’exclusion d’OCP du marché américain des engrais

Des e-mails et des agendas officiels inédits obtenus par un organisme de monitoring des politiques publiques américaines lèvent le voile sur la manière avec laquelle Mosaic, grand rival du groupe OCP a manipulé les décideurs à Washington pour faire surtaxer les engrais provenant du Maroc et profiter d'une situation de monopole

Des courriels et des notes de réunion inédits révèlent comment Mosaic, l'un des plus grands producteurs d'engrais aux États-Unis a fait pression sur l'administration Trump pour restreindre la concurrence, notamment du groupe OCP en imposant des tarifs qui contribuent maintenant à l'inflation et à la crise alimentaire mondiale


Quelques mois seulement après le début de la présidence de Donald Trump en 2017, Mosaic Co. a retenu les services de Ballard Partners, comme l’avait révélé Le Desk en juillet 2020, dont le fondateur a été l'un des principaux collecteurs de fonds de la campagne Trump, pour imposer des droits de douane sur les importations d'engrais.


Avec l'aide de Ballard, les dirigeants de Mosaic ont organisé des réunions de haut niveau avec des responsables du commerce de la Maison Blanche pour discuter de ce qu'ils prétendaient être des subventions injustes pour les importateurs étrangers, selon des courriels obtenus via une demande via la procédure du Freedom of Information Act (FOI) par American Oversight, un organisme de surveillance des politiques publiques américaines à but non lucratif.


La campagne de lobbying d'un an a conduit l'administration Trump à recommander des tarifs en 2020 qui sont entrés en vigueur l'année dernière sur les engrais phosphatés de du Maroc et de Russie, respectivement quatrième et premier exportateur d'engrais au monde. Alors que les importations étrangères chutaient, Mosaic a pris le contrôle de 90 % du marché américain des engrais phosphatés.


Les divulgations relayées par le site d’investigation The Intercept montrent que Mosaic a payé à Ballard 1,49 million de dollars en frais de lobbying.


Peu de temps après avoir signé avec Ballard Partners, les dirigeants de Mosaic se sont rendus à Washington, D.C., pour faire valoir que les engrais phosphatés produits au Maroc, qui contrôle près de 75 % des réserves mondiales de phosphate, constituaient « une menace concurrentielle » pour leur entreprise. À l'époque, les prix des engrais étaient bas et les fournisseurs américains avançaient que les entreprises publiques étrangères, telles que OCP ne soient injustement subventionnées.


Le 5 juin 2017, Syl Lukis, un lobbyiste de Ballard, a écrit qu'il représentait Mosaic dans un e-mail adressé à un conseiller du représentant américain au commerce. Lukis a cherché à rencontrer le principal négociateur commercial de l'administration Trump, Robert Lighthizer.


Lukis a écrit dans un e-mail que le PDG de Mosaic et le vice-président principal de la production de phosphate avaient déjà prévu une réunion avec Peter Navarro, le directeur du Conseil national du commerce.


« Il y a des questions de commerce international dont ils aimeraient discuter concernant la production marocaine de phosphate », a écrit Lukis.


MAIL DE BALLARD PARTNERS - 5 JUIN 2017


Plus tard ce mois-là, les dirigeants de Mosaic devaient rencontrer le secrétaire au Commerce, Wilbur Ross. Les e-mails montrent que la réunion a été programmée par Lorine Card, une lobbyiste interne de Mosaic, et Linda Dempsey, vice-présidente de la politique des affaires économiques internationales à la National Association of Manufacturers, un groupe commercial pour lequel James O'Rourke, le PDG de Mosaic, est membre du conseil d'administration. La correspondance montre que les lobbyistes ont coordonné la réunion avec un groupe de fonctionnaires du Département du commerce, dont Eric Branstad, le fils de l'ambassadeur en Chine de l'époque, Terry Branstad.


Les pontes du Département du  commerce travaillés par Mosaic

Les comptes rendus de réunion montrent un rendez-vous programmé pour O’Rourke avec le sous-secrétaire au commerce par intérim pour le commerce international Israel Hernandez, et Mark Kaplan, un cadre de la division des phosphates de Mosaic. Leurs agendas montrent que la réunion a eu lieu le même jour que celui où Ross avait prévu de rencontrer les dirigeants de Mosaic. Il se pourrait qu’il s’agisse de réunions combinées, ce qui ajoute à la thèse d’une grave collusion entre Mosaic et les décideurs gouvernementaux.


Les discussions ont tourné autour de « questions commerciales clés, y compris le commerce avec l'UE ainsi que la concurrence ici aux États-Unis de la Chine, de la Russie et du Maroc », a écrit Dempsey.


MosaicE-mail d'organisation de meeting entre le patron de Mosaic et le sous-secrétaire au Commerce international. Source: American Oversight


En juillet 2020, après des années de lobbying auprès des responsables de Trump, Mosaic a officiellement déposé une requête auprès de la Commission américaine du commerce international (ITC) pour une enquête en matière de droits compensateurs afin de déterminer si les exportateurs marocains et russes ont reçu des subventions déloyales.


L’ouverture de l’enquête avait poussé OCP à  geler sa présence du marché américain , et à recruter en octobre de la même année le cabinet d’influence Covington pour défendre ses intérêts devant les autorités de régulation américaines. D'autres lobbyistes avaient été mis à contribution aux Etats-Unis par le géant phosphatier, à l'instar de Cornerstone, de son sous-traitant Paul DiNino et de  la firme Cogent dirigée par l’influente Kimberley Fritts, qui, pour muscler le discours d'OCP, avait lancé une vaste campagne de communication en défense des agriculteurs américains pénalisés par la hausse des tarifs des engrais. 


En novembre de la même année, le département du Commerce a annoncé qu'il soutenait les affirmations de Mosaic et qu'il ferait officiellement avancer la demande tarifaire de l'entreprise. Au mois de mars suivant, l'ITC a imposé des droits de 19,97 % au groupe OCP, de 9 % à la société russe PhosAgro et de 47 % à la société russe EuroChem.


Mosaic a orchestré la pénurie d’engrais

Les lobbys agricoles américains ont critiqué ces mesures et déposé une plainte commerciale, arguant que les tarifs accordaient à Mosaic un « quasi monopole » sur les engrais phosphatés. Plusieurs groupes de pression, comme la puissante National Corn Growers Association (NCGA) dirigée par Chris Edgington avait décidé de passer à l’action début 2022.


Dans l’argumentaire de l’un de leurs mémoires, ces groupes de pression ont montré que le gouvernement américain avait commis une erreur en attribuant un déséquilibre de l'offre sur le marché des engrais phosphatés en 2019 aux subventions marocaines et russes. Les groupes agricoles ont affirmé que Mosaic et une autre entreprise américaine, Nutrien, avaient ralenti la production de ses usines tout en augmentant les exportations.


Open Markets Institute, un groupe de réflexion qui étudie la politique de la concurrence, a confirmé la manœuvre de Mosaic dans un document datant de juillet dernier, déclarant que Mosaic avait acquis en 2014 l'activité d'engrais phosphatés de son concurrent CF Industries pour 1,2 milliard de dollars (MM $) et a ensuite décidé d'annuler le projet d'une nouvelle usine de 1,1 MM $ en Louisiane qui « augmenterait la production d'ammoniac nécessaire à la fabrication d'engrais phosphatés finis », ainsi que d'une usine de 1 MM $ en Floride pour le traitement des engrais phosphatés.


Mosaic est aussi accusé de délit d’initié pour avoir utilisé ses économies pour racheter ses propres actions en bourse. Suite à l'imposition de droits de douane sur la concurrence étrangère dont notamment OCP, les actions de Mosaic ont à peu près doublé au cours de l'année suivante, passant de 31,15 dollars ( $) à 61,92 $. Le cours de l’action oscille maintenant autour de 50 $.


MosaicEvolution du cours boursier de Mosaic. Source: Open Markets Institute / Yahoo Finance


En d'autres termes, Mosaic a consolidé sa part de marché, réduit l'offre d'engrais, puis utilisé ses bénéfices pour engranger des marges substantielles sur les marchés financiers tout en faisant pression sur le pouvoir politique pour restreindre la concurrence en faisant barrage par des droits compensateurs aux exportations du groupe OCP destinées au marché américain.


Selon une étude de la Texas A&M University citée par The Intercept, les agriculteurs américains sont confrontés à des prix des engrais quatre à cinq fois plus élevés que l'an dernier, ce qui fait grimper les coûts d'un large éventail de cultures. L'engrais phosphaté au début de la saison de plantation cette année était le double du prix de l'année précédente.


Atteignant des niveaux records, les coûts des principaux engrais alimentant aussi une crise alimentaire à l’échelle mondiale. Alors que la guerre en Ukraine et les problèmes de chaîne d'approvisionnement ont été des facteurs majeurs de la crise en cours, les tarifs ainsi que les sanctions liées à la guerre contre la Biélorussie et la Russie ont déstabilisé les marchés agricoles et l'opposition aux tarifs s'est accrue.


En mars, un groupe bipartisan de législateurs du Congrès a écrit au président de l'ITC, Jason Kearns, demandant à l'organisme commercial de reconsidérer les droits imposés sur les produits d'engrais phosphatés importés du Maroc.


Le sénateur républicain du Kansas Roger Marshall et le représentant Tracey Mann du même Etat, ont également présenté un projet de loi au Congrès pour autoriser des dérogations d'urgence sur les tarifs des engrais.


Mosaic a demandé au gouvernement américain de s'opposer à la levée des tarifs alors que l’affaire est désormais entre les mains du Tribunal du Commerce international des Etats-Unis. Dans une lettre adressée aux responsables du ministère de l'Agriculture le mois dernier, Ben Pratt, le vice-président principal des affaires gouvernementales et publiques de Mosaic, a attribué la hausse des prix des engrais à « de nombreux événements, y compris géopolitiques » ainsi que « les perturbations de l'approvisionnement, l'inflation et d'autres pays ayant restreint les exportations d'engrais pour préserver leur approvisionnement intérieur ».


Sauf jugement annulant la surtaxation qui frappe les produits OCP voire une décision politique de Joe Biden, les tarifs sur les engrais resteront pleinement en vigueur jusqu'en 2026.

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